La chronique de Gonzalez : Penser l’avenir en Bleu sans Benzema
L’Équipe de France vient de disputer un nouveau rassemblement sans Karim Benzema. C’est un fait auquel on s’était habitué mais dont on commence à s’émouvoir de nouveau. Pourtant, je pense qu’il n’y a pas lieu que Didier Deschamps change sa position.
« Malheureusement pour moi et pour tous ceux qui m’ont toujours soutenu et supporté. Je ne serai pas sélectionné pour notre Euro en France … ». Ce message, publié sur Twitter par Karim Benzema quelques minutes avant l’annonce officielle de la FFF, date du 13 avril dernier. Cela va bientôt faire un an que Noël Le Graet et Didier Deschamps ont pris la décision de ne pas sélectionner Karim Benzema pour l’Euro 2016 se déroulant en France. Une décision grandement discutée à l’époque, et qui continue toujours de faire débat aujourd’hui, alors que Benzema est redevenu sélectionnable. La faute, notamment, aux déclarations du principal intéressé sur RMC, il y a un peu plus d’une semaine, venues raviver des flammes qui tendaient – quoiqu’on en dise – progressivement à s’éteindre.
Benzema : « C’est toujours tout sur moi en équipe de France. Maintenant, il faut juste être clair avec moi » #BenzemaChezDuga #rmclive pic./HXCqDDYjNB
— Team Duga (@TeamDugaRMC) 23 mars 2017
S’il était encore trop tôt pour dire que le feu s’était définitivement transformé en cendres, on peut toutefois admettre que l’hypothèse de revoir Benzema en Bleu s’apparentait de plus en plus à un phénix arrivant en fin de vie. En conférence de presse, les journalistes ne questionnaient même plus Deschamps sur son choix de préférer Olivier Giroud, André Pierre Gignac ou Kevin Gameiro à l’attaquant madrilène. C’était devenu normal, banal, routinier, accepté et compris par tous. Aujourd’hui, le « cas Benzema » est subitement revenu sur le tapis sans avoir eu le temps de s’immoler. Ce n’est pas tant que la vision de Deschamps ou la probabilité d’un retour de KB9 aient véritablement changé. Mais, désormais, tout le monde se rappelle d’une affaire qu’on avait peu à peu commencé à oublier.
Cette affaire, justement, Benzema la traîne un peu comme un boulet. Un an et demi après, c’est un poids dont il n’arrive toujours pas à se débarrasser. Je ne reviendrai pas ici sur le jugement éthique qu’implique ce chantage à la sextape dont aurait été victime Mathieu Valbuena, car il convient à chacun de se faire son opinion, et, surtout, je ne suis pas ici pour prendre la place de la Justice. Il n’empêche, aujourd’hui, la réalité de la situation de Benzema est qu’il aura toujours du mal à être appelé tant qu’un verdict n’aura pas été rendu. Si l’instruction est en cours et que Benzema se trouve à Clairefontaine, il y aura inévitablement une possibilité – même infime – pour qu’il soit arrêté et qu’un nouveau scandale éclate. C’est un risque auquel Deschamps ne peut pas consentir.
Benzema en club, Benzema en Bleu
Malgré tout, le principal argument avancé en faveur d’un retour de Benzema en Bleu tient uniquement au niveau qu’il affiche en club. Peu importe les soucis extra-sportifs, ils doivent disparaître face au seul constat du jeu et la compétitivité. En l’occurrence, Benzema continue, année après année, d’afficher un très bon rendement avec le Real Madrid, où il compile au moins 21 buts toutes compétitions confondues par saison entre 2013-2014 et 2015-2016 (il en est à 13 cette saison). Incontestablement, l’Équipe de France semble ne pouvoir être que meilleure avec un attaquant de tel calibre dans ses rangs.
Sur ce point-là, il ne faut surtout pas se méprendre. Plusieurs des amis avec lesquels je partage ma passion pour le football m’accuseraient rapidement de ne pas être objectif, d’omettre la réalité des statistiques de Benzema et, surtout, de prendre parti en faveur du Mathieu Valbuena. Bien sûr, en aucune façon je ne nie l’attachement indéfectible que je porte à Petit-Vélo. C’est un joueur que j’apprécie tout particulièrement et pour lequel je souhaiterai toujours un retour en Bleu, alors qu’il demeurait, jusqu’à l’affaire de la sextape, le meilleur joueur de l’ère Deschamps. Pour autant, il serait faux d’affirmer que la mise à l’écart de l’ancien marseillais conditionne mon avis sur Benzema. En aucun cas je ne pars en croisade pour Mathieu Valbuena et contre Karim Benzema.
Aujourd’hui, Karim Benzema est un buteur de classe mondiale, et, de surcroît, le meilleur attaquant français. Purement et simplement. C’est un fait. Et il est incontestable – si on considère qu’Antoine Griezmann évolue en position d’électron libre et qu’il n’est pas un pur numéro 9. La BBC est devenue un trio d’attaque irrésistible et reconnu dans le monde entier avec lequel seule la MSN semble pouvoir rivaliser. Benzema a acquis un statut de titulaire indiscutable au Real Madrid et parvient à maintenir un niveau de performance plus que satisfaisant dans l’un des meilleurs clubs du monde. C’est très loin d’être donné à tout le monde.
Néanmoins, je reste peu convaincu par la capacité de Benzema à tirer, sur le plan personnel, l’Équipe de France vers le haut. S’il a toujours été performant en club depuis son éclosion à l’Olympique Lyonnais, KB9 s’est, à l’inverse, très peu souvent montré sous son meilleur jour avec le maillot bleu. C’est bien simple : pour trouver une performance de référence de Benzema en EdF, il faut y réfléchir un certain temps. Et, au bout du compte, il est même peu probable que vous ayez relevé de nombreuses confrontations où l’attaquant a brillé et porté les Bleus. Peut-être face au Honduras, lors du premier tour de la Coupe du Monde 2014. Mais sinon …
Pourtant, j’ai vraiment voulu y croire, à cette idylle entre Karim Benzema et l’Équipe de France. Sincèrement. Je me rappelle, au sortir du désastre connu en Afrique du Sud – Knysna et quelques événements peu réjouissants –, auquel Benzema n’avait pas participé, de son retour en sélection sous l’égide de Laurent Blanc. Il s’agissait des néo-bleus. Ceux du renouveau. Laurent Blanc devait opérer la résurrection de l’EdF, et, par la même occasion, la prise en main de la génération 87 – celle qu’on attendait tous, et qu’on attend, malheureusement, toujours aujourd’hui. Benzema, lui, était encore remplaçant au Real Madrid, mais Le Président voulait malgré tout le placer au cœur de son projet.
Ce retour en grâce des oubliés de 87 – les Samir Nasri, Hatem Ben Arfa, Jérémy Ménez et, donc, Karim Benzema – me plaisait beaucoup. C’est une équipe en laquelle je m’identifiais, en laquelle je croyais, que j’aimais voir jouer et dont le football me correspondait. Je me souviens plus particulièrement d’un match de qualification pour l’Euro 2012, le troisième de Laurent Blanc à la tête de la sélection, disputé par les Bleus en Bosnie-Herzégovine, quelques jours après avoir chuté face à la Biélorussie (0-1), au Stade de France. Je regardais ce match avec mon grand-père – une des personnes qui ont grandement contribué à mon amour du football – et nous attendions tous les deux ce succès tant espéré, le premier depuis l’Afrique du Sud. Tout s’est résolu à la 71ème minute, lorsque Karim Benzema – qui était, par ailleurs, le coéquipier de Mathieu Valbuena ce soir-là – a réalisé une magnifique roulette avant d’ouvrir le score. Papy et moi avons aussitôt hurlé de joie. Le geste du Madrilène était tellement beau, tellement soudain, tellement inattendu. Une vague de frissons me traverse rien qu’en y repensant.
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La naissance d’un groupe et de la génération Griezmann
Malheureusement, le temps a passé depuis, et la situation a grandement évolué. Benzema, qui a longtemps fait figure d’indéboulonnable dans le groupe France, n’en fait désormais plus partie sans que cela ne nous choque particulièrement. Il faut dire que l’absence de l’ancien lyonnais commence à dater un peu et qu’on s’est – plus ou moins malgré nous – accoutumé à ne plus le voir revêtir la tunique tricolore. Sa dernière sélection remonte au 8 octobre 2015, à l’occasion d’un match amical face à la modeste Arménie, à l’Allianz Riviera de Nice. Ce soir-là, l’Équipe de France dégomme facilement des Arméniens trop limités techniquement et physiquement. Benzema, lui, signe une excellente partition, guidée par son entente florissante avec Antoine Griezmann, en affichant une feuille de statistiques quasiment parfaite (un doublé et une passe décisive).
Mais ce qui était alors un match amical tout à fait banal face à l’Arménie appartient déjà à un paradigme qui nous paraît bien ancien. Certes, d’un point de vue strictement temporel, cette rencontre s’est déroulée il y a quasiment un an et demi, mais, surtout, la situation des Bleus n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui. En cette soirée d’octobre 2015, la troupe de Didier Deschamps enchaîne les matches amicaux depuis la fin du Mondial brésilien en préparation de l’Euro se déroulant sur ses terres à l’été 2016. A cet instant, il ne fait aucun doute que Mathieu Valbuena sera titulaire en juin, Mamadou Sakho est toujours un pilier des Bleus, Dimitri Payet est momentanément passé aux oubliettes et Antoine Griezmann vient tout juste d’inscrire son premier but en tant que titulaire avec l’Équipe de France. Une autre époque.
Une autre époque, justement, lors de laquelle les chances des Bleus paraissaient infimes sans la présence de Karim Benzema. Mais l’affaire du chantage à la sextape est survenue. Il a fallu prendre une décision, et KB9 s’est retrouvé sur la touche. Les matches amicaux de mars face aux Pays-Bas et la Russie avaient esquissé la possibilité d’une vie sans l’attaquant du Real. L’Euro l’a confirmée. Alors, que serait-il advenu si Benzema s’était trouvé sur le pré en juin ? Nul ne peut l’affirmer. Mais, si une chose est sûre, c’est que l’Euro français a marqué la naissance d’un groupe et d’une génération : la génération Griezmann. Avec le joueur des Colchoneros, la France s’était enfin trouvé un leader, un costume que n’avait jamais su endosser Karim Benzema.
Indéniablement, le plus grand tort de Benzema aura été de ne pas jouer l’Euro. L’aventure vécue par les Bleus cet été a marqué le retour en grâce définitif de la France sur la scène mondiale pour la première fois, véritablement, depuis la Coupe du Monde 2006 ; et elle a, par la même occasion, déclenché un élan de soutien populaire qu’on ne connaissant plus à cette ampleur. Alors que la France est lancée à pleine vitesse vers la Russie – même si la défaite face à l’Espagne a montré qu’elle restait encore en rodage – réintégrer Benzema risquerait de casser la dynamique d’un groupe et d’enrayer sa spirale positive. KB9 a raté le bon wagon. Et désormais, il lui sera très dur de le rattraper.
Cette logique de groupe très chère à Didier Deschamps constitue le principal frein à un retour de l’attaquant madrilène. D’ailleurs, la semaine dernière, face à la tension engendrée par cette non-sélection, Deschamps, lui, a préféré couper court. Invariablement, à chaque fois que la question lui a été posée, le sélectionneur des Bleus a simplement indiqué : « ce n’est pas le moment ». Exit ses pirouettes habituelles, DD a cette fois choisi de se montrer tranchant et implacable en usant d’une formule brève et explicite. Il n’y a pas d’avis plus légitime que celui du patron de l’Équipe de France, et Benzema ne reviendra pas à Clairefontaine tant que Deschamps ne l’aura pas décidé. Pragmatiquement, Deschamps rappellera Benzema uniquement s’il a besoin de lui.
Or, aujourd’hui, non seulement la France a appris à vivre sans Benzema, mais, en plus, elle bénéficie d’un réservoir offensif sans commune mesure avec celui des dernières années. Kevin Gameiro, Kylian Mbappé, Alexandre Lacazette, ou encore Moussa Dembélé – tandis qu’André-Pierre Gignac, a, à un poteau près, complètement disparu des radars – représentent une concurrence nouvelle qui constituent un obstacle supplémentaire sur la route de Benzema vers la formation au Coq. Tous ces joueurs sont encore (très) loin d’avoir la carrière de l’ancien Lyonnais mais ils sont déjà des titulaires en puissance, des alternatives crédibles et aptes à porter l’Équipe de France vers les sommets à plus ou moins long terme.
Olivier Giroud est également de ceux-là. L’attaquant d’Arsenal a beau être décrié rassemblement après rassemblement depuis la mise à l’écart de Benzema, il continue de se montrer performant et décisif avec le maillot des Bleus. Son doublé contre le Luxembourg il y a une semaine l’a de nouveau démontré, même si, inlassablement, les interrogations sur son niveau ressurgissent. On oublie pourtant trop souvent qu’il y a quelques années, lorsque Benzema était titulaire, de nombreux observateurs réclamaient une refonte de la hiérarchie, et la présence dans le onze de départ … d’Olivier Giroud. Si on devait faire un bilan aujourd’hui, Giroud (0,38 but par match) affiche un meilleur ratio que Benzema (0,33 but par match) – le Gunner ayant été, qui plus est, moins souvent titulaire –, et, en terme de résultats, la France a atteint une finale d’Euro avec Giroud dans son onze alors qu’elle n’a jamais passé les quarts de finale avec Benzema.
En outre, le comportement adopté par Karim Benzema peut poser question. Lui qui n’a jamais semblé faire preuve d’un enthousiasme fou en sélection – le quart de finale face à l’Allemagne au Brésil en fut le point d’orgue – ne gagnera probablement pas sa réhabilitation avec sa stratégie de communication. Deschamps n’a sûrement pas oublié les déclarations passées du Madrilène sur la « pression raciste d’une partie de la France » – ni les tags sur sa maison, quand bien même on ne puisse pas les imputer à Benzema – et ne fera pas le premier pas en avant. Dans ces circonstances, chercher à s’expliquer par médias interposés n’est sans doute pas la meilleure solution. Et, pour finir, je ne parviens toujours pas à m’expliquer comment Benzema a pu liker une photo déplacée à l’égard de Giroud sur Instagram. C’était indécent et totalement inapproprié.
Regardez Benzema il aime quoi sur Instagram 😂😂😂😂😂❤️❤️ pic./WO0pUQNI2R
— 🤞🏼 (@Faroukk__) 26 mars 2017
Toutefois, en dépit de sa mise à l’écart et de toutes les tares du monde qu’on pourra lui reprocher, je trouve que la communication de la FFF à l’égard de Benzema est, elle aussi, inappropriée. Oublier de mentionner l’attaquant madrilène lorsque le compte Twitter de la Fédération recense les internationaux tricolores participant à un Clasico, je trouve ça légèrement risible et irrespectueux. Benzema pèse 81 sélections sous la tunique tricolore et c’est une chose qu’on ne pourra jamais lui enlever. Reste qu’aujourd’hui, l’Équipe de France est redevenue la grande nation du football mondial qu’elle n’a jamais su être avec KB9 dans ses rangs. Le projet mené par Didier Deschamps surfe sur un vague nouvelle contre laquelle l’attaquant madrilène ne semble pouvoir que s’échouer. Et, aujourd’hui, il est peut-être temps de définitivement penser l’avenir en Bleu sans Benzema.