La chronique de Gonzalez : Tonton Pat’ n’est pas encore bon pour la casse
Revoilà Tonton Pat’. Après avoir résilié son contrat avec la Juventus Turin, Patrice Évra s’est engagé librement avec l’Olympique de Marseille mercredi dernier. Un bon point pour le club. Mais aussi pour le joueur.
Mario Balotelli et Younès Belhanda l’été dernier. Julian Draxler et Memphis Depay cet hiver. Ce dimanche, Dimitri Payet. Et, depuis mercredi, Patrice Évra. La Ligue 1 semblerait presque retrouver son attractivité d’antan. Aujourd’hui, tous ces noms ne sont plus des chimères inatteignables et réservés aux mastodontes supra-économiques du Vieux Continent. Les derniers mercatos n’ont rien d’une vaste traversée onirique. Les clubs français peuvent à nouveau accueillir de grands joueurs. Même l’OGC Nice, l’Olympique Lyonnais ou l’Olympique de Marseille.
Patrice Evra, lui, est donc arrivé sur la Canebière en milieu de semaine, après avoir prématurément mis fin à son aventure à la Juve, où il ne jouait plus vraiment, hormis en Ligue des Champions. Cette Ligue des Champions, il est justement revenu dans l’Hexagone pour aider Marseille à la retrouver. Le Vélodrome n’a plus connu la ferveur des douces soirées européennes du mardi (et mercredi) soir depuis la saison 2013-2014. Une édition passée à la postérité pour des raisons funestes, puisqu’elle s’était soldée par un cinglant zéro pointé.
« L’effet Evra » est d’ailleurs déjà entré en action puisque le latéral gauche a disputé son premier match seulement deux jours après son arrivée, avec à la clef une victoire facilement acquise devant une équipe de Montpellier complètement apathique (5-1). Pour cette première sortie, Evra s’est contenté de tenir son poste, discrètement et sans fioriture, tout en recevant les nombreux applaudissements de ses nouveaux supporters, à l’annonce des joueurs puis lors de son remplacement. Assez tranquille, en somme.
Il serait bien sûr absurde d’incomber ce succès marseillais à la seule présence d’Évra sur le terrain, mais, à défaut, son arrivée est susceptible d’entraîner une dynamique collective après les deux lourds revers face à Monaco puis face à Lyon. Sans surprise, tout le vestiaire a accueilli avec respect et enthousiasme l’expérimenté Tonton Pat’. À première vue, l’OM semble avoir réalisé une bonne opération, à la fois sportive et financière, avec ce transfert.
La jurisprudence Lizarazu
Mais, pourtant, d’aucuns avancent d’ores et déjà qu’au milieu de toutes les stars citées en préambule – plus ou moins confirmées, plus ou moins sur la pente ascendante –, Evra ferait presque figure d’intrus. Certains observateurs sont dubitatifs. C’est vrai : l’ancien protégé de Sir Alex n’est plus tout jeune, après tout. Alors, forcément, on s’interroge. Evra est-il toujours au niveau ? Ne vient-il pas à Marseille en pré-retraite ? Colle-t-il vraiment au projet que veut instaurer Frank McCourt en terres phocéennes ?
Et puis, surtout, ces différentes questions viennent s’ajouter à ce que j’appellerais la « jurisprudence Lizarazu ». En 2004, alors qu’il est en fin de carrière (35 ans) et qu’il en a fini avec les Bleus – il a pris sa retraite internationale après l’élimination en quarts de finale de l’Euro 2004 face à la Grèce –, Bixente choisit d’apporter son expérience à l’Olympique de Marseille pour une dernière pige. Seulement, le résultat est calamiteux. La mayonnaise ne prend pas du tout. Lizarazu affiche un niveau de jeu anormalement décevant et se brouille même avec l’entraîneur en place, Philippe Troussier. Un mariage pour le moins raté à tel point que, cinq mois plus tard , le Basque s’en était déjà retourné chez lui, au Bayern Munich.
Bien sûr, la comparaison entre Lizarazu et Evra est très tentante, tant le parcours du premier semble, d’une certaine manière, s’apparenter à celui du second. Si Lizarazu a prodigieusement raté son retour en France, on peut naturellement penser qu’Évra connaîtra pareille destinée. De même, les questions émises autour du niveau de l’ancien monégasque sont légitimes et méritent d’être posées. Elles constituent un doute raisonnable. Evra, pour sa part, sait d’ailleurs parfaitement qu’il n’arrive pas à Marseille en terrain conquis : « Je repars à zéro. Les gens m’attendent ici, j’ai tout à prouver. C’est parfait ! Je sais que vous allez me tirer dessus mais j’aime ça », a-t-il dit lors de sa présentation.
Néanmoins, si, dans un cas comme dans l’autre – comparaison avec Liza et doutes autour du niveau d’Évra –, les interrogations sont légitimes, ce n’est pas pour autant que je les estime pertinentes et justifiées. Évidemment, le recrutement d’Évra répond avant toute chose à un besoin pratique : l’OM avait la nécessité absolue de trouver un latéral gauche étant donné la propension d’Henri Bedimo à enchaîner les blessures. Hubocan, Reikik et Doria étaient des solutions de rechange mais n’avaient en rien vocation à s’installer sur le long terme. Reste qu’avoir fait le choix de l’ancien Monégasque est loin d’être anodin.
En premier lieu – et c’est là le principal –, il n’y a pas de sens à affirmer que, sportivement, Evra est hors du coup. Quoiqu’on en dise, Patrice Évra est un joueur de stature internationale, qui, s’il n’était plus titulaire en Italie, devait surtout sa place sur le banc à l’explosion d’Alex Sandro – qui est, à ce jour, l’un des meilleurs latéral gauche d’Europe. La Juventus n’est pas l’OM et, en dépit de tout ce qu’on pourrait lui reprocher, Evra n’a jamais déçu en club au cours de sa carrière.
Mais, surtout, Patrice Evra reste un nom d’envergure sur la scène internationale. Un joueur qui quitte la Juventus Turin pour rejoindre l’Olympique de Marseille, c’est assez peu commun. À une heure où l’Olympique de Marseille cherche à se (re)construire, Evra va jouer un rôle pivot. Il est typiquement le genre de joueur dont les Phocéens avaient besoin. Aujourd’hui, il a tout pour apporter de la stabilité et de la cohérence au onze marseillais. Enfin, comme chacun sait, Evra a une âme de leader qui sera essentielle pour faire grandir un groupe qui, globalement, manque de caractère et d’aboyeur sur le terrain. Là encore, ce sont les propos du principal intéressé qui parlent le mieux : « Il y a un projet, j’ai envie de m’investir, déjà d’être performant sur le terrain. Les supporters ici connaissent le foot, certains font des crédits pour avoir cet abonnement. J’ai dit à des coéquipiers: « Vous savez où vous êtes, les gars? » Si Patrice Evra quitte la Juve pour venir ici, c’est un message ». Incontestablement, la signature d’Évra marque l’avènement de l’OM Champions Project.
Concernant l’assimilation avec Lizarazu, elle ne revêt pas forcément beaucoup plus de sens. Le contexte est très différent. Si Liza a connu une ambiance délétère autour de lui, ayant conduit à son irrémédiable départ, Evra arrive dans un climat bien plus épanouissant et, surtout, son transfert est un désir de Rudi Garcia. Evra a déjà été adopté par l’équipe et par le public marseillais, en majeure partie car, comme nous l’avons dit plus tôt, il doit représenter le passage du club dans une nouvelle ère. Evra porte en partie le dessein d’un projet ambitieux alors que l’OM était loin de nourrir d’aussi grandes ambitions lors de la venue de Lizarazu.
Objectif Coupe du Monde ?
Toutefois, si je ne devais garder qu’une seule et unique différence entre Evra et Liza, à la croisée de leurs carrières respectives, le jour où ils ont posé leurs valises sur la Canebière, c’est le rapport qu’ils entretenaient, à cet instant précis, avec l’Équipe de France. En débarquant à Marseille, Bixente a déjà abandonné l’Équipe de France, dans le sillage de quelques années post Euro 2000 particulièrement ratées. Patrice, lui, sort d’un Euro à domicile qu’il a failli remporté. Et, surtout, à aucun moment il n’a annoncé avoir songé à prendre sa retraite internationale.
Je me plais souvent à évoquer les joueurs potentiellement sélectionnés pour la Coupe du Monde 2018 avec plusieurs amis aspirant, dans le cadre de nos études en journalisme, au même objectif professionnel que moi. L’un d’eux – qui, par ailleurs, écrit pour un site concurrent – a érigé, depuis quelques années, certains joueurs au rang d’idoles intouchables. Parmi ces joueurs, on peut comprendre l’affection qu’il porte à Kevin Gameiro. Il est encore possible d’admettre son admiration pour Yohan Cabaye. En ce qui concerne sa vénération pour Lucas Digne, on a le droit d’émettre plus de réserves.
Forcément, nous plaisantons un peu quant à ce choix pour le moins incertain au poste de latéral gauche. Il faut dire que Waldemar – pour le citer – est très loin d’apprécier l’un des concurrents directs du Barcelonais, le Parisien Layvin Kurzawa. Mais, de temps à autres, Waldemar est soudain pris d’un élan de lucidité. Je l’entends alors parfaitement reconnaître, non sans un léger pincement au cœur trahi par une douce tonalité rieuse, que « Digne, ça va pas être possible ». Et vient presque immédiatement son remplaçant naturel : « Je le sens bien, Tonton Pat’, je sens qu’il sera là en 2018 ». Et au fait, pourquoi pas ?
En vérité, cette hypothèse n’a rien de farfelu. Elle est même plutôt crédible. Certes, Patrice Evra aura 37 ans lorsque la prochaine Coupe du Monde débutera. Mais, pour l’heure, Didier Deschamps ne l’a pas définitivement écarté. Bien sûr, depuis août, le sélectionneur des Bleus privilégie Layvin Kurzawa et donc Lucas Digne dans sa liste des 23. Mais ce n’est pas une fatalité. En novembre, lorsque Kurzawa a dû déclarer forfait, DD a logiquement rappelé Tonton Pat’ dans le groupe. Et qui a été titulaire face à la Suède (2-1) en match qualificatif pour la Coupe du Monde ? Lucas Digne ? Non. C’était Tonton Pat’, bien sûr.
Le problème récurrent lorsqu’on parle de Patrice Evra en Équipe de France, c’est qu’il continue de traîner, encore aujourd’hui, les fantômes de Knysna. Il y a des plaies que le temps peine à refermer, et le désastre connu en Afrique du Sud – l’élimination prématurée, la grève de l’entraînement – est toujours intimement associé à l’image de celui qui était capitaine à l’époque, c’est-à-dire le malheureux Evra.
Sous l’égide de Deschamps, les Bleus ont accompli une mission qui n’avait rien d’évident : retrouver une image vertueuse auprès de leurs supporters. En ce sens, Evra représente les années sombres, ce désamour entre le public et la sélection que l’on veut à tout prix oublier et mettre de côté. Beaucoup en ont voulu à l’ancien Mancunien. Moi le premier. Mais j’étais jeune. Je ne me rendais pas forcément compte. Evra a subi à lui seul les agissements d’un groupe de 23 joueurs, à tort et à travers. Le taux de reproches adressé à Evra a été profondément injuste. Il ne méritait certainement pas toutes les véhémences qu’il fut contraint d’encaisser.
Aujourd’hui, Evra a payé sa dette. Et, à l’issue de l’Euro, je garde cette impression que son aventure avec les Bleus n’est pas encore terminée. Evra a encore quelques atouts à faire valoir. À Marseille, il jouera non seulement plus qu’à la Juve, mais également avec une plus grande visibilité. La durée de son contrat à l’OM ne sort d’ailleurs pas de nulle part. Un an et demi, avec comme butoir la Coupe du Monde en Russie. Et si le public ne porte pas forcément Évra dans son cœur, le néo-Olympien, lui, porte un amour inconsidéré pour l’Équipe de France : « Tout le monde sait l’amour que j’ai pour les Bleus. Ce n’est pas une priorité mais je suis là pour embêter les jeunes. Et s’ils ne font pas le boulot, Tonton Pat’, lui, il ne lâchera rien ». En 2018, ce serait sa dernière compétition internationale. Il n’irait pas au-delà. Mais, à ce jour, la lumière n’est pas encore éteinte. L’Équipe de France possède une jeunesse fabuleuse, mais elle a encore besoin de vieux briscards. Et, même à 35 ans, Tonton Pat’ le sait, il n’est pas encore bon pour la casse.